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[ chroniques d'un quotidien mi-figue mi-raisin ]

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  • Photo du rédacteurmandale douce

Leçon #8 Curer sa fièvre achteuse en (grande) surface

L’une des conséquences d’avoir quitté un CDI plutôt confortable pour se jeter dans la fosse aux chômelions, c’est évidemment la baisse du pouvoir d’achat. En matière de consommation, j’ai beaucoup de convictions et d’avis tranchés. Malheureusement, ça ne m’empêche pas de batailler ferme (et plus que je ne veux l’admettre) avec mes bas instincts de possédante.

Illustration: Pavé

Telle une braconneuse dans sa jungle moite faites de produits et de couleurs criardes, je différencie désormais les différents bip des terminaux de paiement. Le court aigu accompagne l’achat impulsif, l’aigu long pour une acquisition réfléchie, mais qui ne produira pas ses promesses d’épanouissement, pis le grave court pour les produits d’utilisation courante suremballés.


Pour en revenir à cette baisse du pouvoir d’achat, elle est à la fois ce qui m’est arrivé de meilleur et de pire. Elle m’oblige à affronter ces réflexions que je camouflais avec soin sous une grosse couche de mauvaises raisons et d’auto-persuasion. Pour le consommer trop, on commence à voir le bout du tunnel (entre deux crises de shopping démence).


Par contre, à mon grand regret, le consommer mal a encore pléthore de chemins pour maintenir vivantes les contradictions entre ma volonté et mes actions (bancaires). Surtout le chemin qui mène au Aldi.


Ce malaise, je le ressens bien vibrant dès que je fous la pièce dans la fente du caddie. Lors de mes dernières courses, j’ai pris la mesure de l’ambivalence de ma posture.


Je me vois, bobo déchue crucifiée sur l’autel de la bonne conscience individuelle, utiliser mes sacs à vrac en coton bio pour emballer des petits pains frais du jour (= pains provenant de Turquie et décongelés le matin même).

Déjà affaiblie par ma propre persécution mentale, voilà que je me fais engueuler par une vieille canaille boiteuse qui me houspille, parce que je saisis les pains avec mains… Je ne sais pas si je dois être offusquée ou attendrie par le fait que cette harpie considère les germes de paluches plus néfastes que les secrets de fabrication de l’industrie agro-alimentaire. Cute.


Chemin faisant, je peux pas m’empêcher de reluquer le caddie des autres aldinois. En les jugeant, c’est bien sûr moi-même que je juge. Mais j’aimerais, je l’admets, que leurs choix les fassent autant souffrir que les miens, que leurs visages arborent une forme de repentir du genre "on sait, mais on n'a pas d’autres options". Il n’en est rien. Les pitch pépites de chocolat s’entassent gaiement aux côtés des lanières de bacon sous vide et autres River limonades.


Ce que je peux quand même reconnaître à la grande distribution, c’est de nourrir autant mon futur cancer que mon appétence pour se marrer noir en dénichant les absurdités de not’ pauv’ civilisación.


Le point culminant étant le moment où ont commencé à fleurir dans les supermarchés des produits labellisés bio ou fairtrade (mais rarement les deux en même temps, sauf pour les bananes, mais alors elles sont dans un sachet en plastique… tu la vois l’enculade ?).


Y a pas à dire, les industries qui nous sustentent ont bien compris les dilemmes moraux qui agitent la plèbe et c’est avec une malice certaine qu’elles les transcendent à coup de paquetages sobres et de labels modélisés sur Paint.

J’arrive au rayon produits transformés. C’est todi par l’intermédiaire d’un employé mi-temps graphiste, mi-temps chargé de l’injection de liquides dans les poulets (c’est la seule explication plausible), que les grandes enseignes s’emploient à rassurer le chalant, à induire de la confiance, voire parfois de l’authenticité. Une appellation italienne pour les pizzas surgelées, des fruits dégoulinants sur le pack de jus d’orange, des jeunes qui s’éclatent en mangeant des dragibus, peu importe. Tant qu’à l’arrivée, on se retrouve avec un écrin en carton fait pour duper, pour planquer au max un contenu chargé en sirop de fructose-glucose.


Tiens, une petite pyramide de produits, c’est focus méditerranée cette semaine, les paquets de bruschettas à l’ail arborent fièrement l’appellation "Style Italie". Dingue, ce petit brin d’honnêteté insidieux, le fournisseur s’est peut-être senti un peu coupable. Il t’annonce en gros que tu vas pas voyager, mais que tu pourras prétendre l’avoir fait. Et si tu es déçu, viens pas dire que tu n’as pas été prévenu !

Je continue docilement à pousser mon char et passe en caisse. Sur le tapis, au milieu des autres produits, mon unique sac en coton renfermant les pains de la discorde fait un peu de peine.

L’hôtesse de caisse commence son décompte et à mon oreille ne résonnent que des bips graves/courts. Arrivée aux pains en question, elle me regarde, l’air un peu pantoise, et me dit "Y’avait plus de sacs au rayon ?". J’essaie de répondre, toute niaise et balbutiante "Sss..si si, il en reste pas de soucis". Manquerait plus qu’une étalagiste se fasse engueuler par ma faute. Elle me fixe quelques secondes, je pense saisir dans son sourcil relevé une pointe d’incompréhension et de condescendance.


Je me dirige vers la sortie, refous mon caddie dans son petit parking, récupère ma pièce.


Au final, je me rends compte que pendant que les chaînes de supermarchés dépensent des grosses liasses en publicités pour tenter de nous faire croire que consommer chez eux n’est pas nocif pour notre santé, n’a pas de répercussions sur l’agriculture ou sur l’environnement, les institutions publiques et politiques agitent les mêmes outils et enchaînent les campagnes de sensibilisation à la pratique sportive, au consommer local ou aux gestes éco-citoyens.


Dans ce vrombissement dissonant, j’imagine que beaucoup de gens, tout comme moi, bifurquent un peu entre culpabilité, adaptations, rechutes... et envie de mieux faire. Si pas pour enrayer le merdier écologico-social qui s’annonce, au moins pour voter de l’une des seules façons qui peut encore compter actuellement : espacer les cris des terminaux de paiement.


À la revoyure,

Et à la vôtre!

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