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[ chroniques d'un quotidien mi-figue mi-raisin ]

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  • Photo du rédacteurmandale douce

Leçon #10 SHIT CHAT, une Aff’Hair de style

Si j’entends encore quelqu’un dire que le confinement est l’occasion de se centrer sur soi, je ne réponds plus de moi.

J’en ai lu des textes depuis 15 jours. Des articles de la presse nationale, internationale, des articles de blog, des journaux de confinement.


J’ai vu en peu de temps la pandémie se transformer en une nouvelle opportunité de fourrer du contenu à tout prix, je l’ai vue aussi servir de prétexte à assaillir la populasse de nouvelles injonctions : comment ne pas prendre du poids en période confinement, comment être productif en période de confinement, 13 astuces pour ne pas s’ennuyer chez soi, comment être confinée et stylée (sisi, jte jure).


Tout ça entrecoupé d’images de caissières derrière une vitre, de soignant.e.s désespéré.e.s, ou de déclaration de guerre à un ennemi invisible par un mec à une frontière d’ici qui s’est cru au cours Florent.

Le monde était déjà malade, le Corona est juste un exhausteur de goût. Un goût saveur chiotte, je te l’accorde.

Et à moi, on me réclame (3 potes et mon daron) à corps et à cris (1 ou 2 messages furtifs bardés d’ennui) d’écrire quelque chose autour du C-word.


Mais pour vrai, qu’est-ce qu’on écrit sur un truc pareil ? Dans toute cette mélasse évoquée plus haut, qu’est-ce qu’on propose vraiment aux êtres humains qui ont le luxe d’être avides d’écrans en swipe?


Ché pas moi, chui dépourvue. Peu de gens écrivent pour dire qu’ils ne savent pas mieux, je trouve ça dommage.


[DÉBUT DIGRESSION]

Quand on pensait qu’on était invincibles et que le capitalisme était le seul règne viable, j’avais eu envie d’écrire sur les conversations de surface. Celles qui nous forcent, plus que d’autres, à mettre un voile sur qui nous sommes vraiment.

J’ai toujours eu de la difficulté à meubler des conversations. Tu vois, les moments où tu es pris en otage dans une parcelle de vie à haut potentiel d’interactions polies, mais inutiles, celle où l’on parle du temps qu’il fait, où l’on ponctue son entremet verbal de "ils fauts biens", de "commes uns lundis" ou de "ças iras mieuxs demains".


Je dis pas, c’est sympathique et tout, c’est de bon aloi, mais je sais pas faire, ça m’exaspère, j’ai pas envie. C’est ce que j’appelle du SHIT CHAT. (en anglais, chit chat (à prononcer <tch>it <tch>at) signifie du bavardage, des conversations informelles autour de sujets peu/pas importants).


Au regard de ce qu’on vit aujourd’hui, j’ai l’impression d’être une morue sans âme de venir avec ce sujet. Et en même temps, on ne déborde pas d’occasions de se plaindre de trucs sans conséquence ces jours-ci, alors tant pis.


Par exemple, ça fait des années que je change de salon de coiffure. Pas parce que je suis à la recherche de l’ultime dégradé effilé, mais parce que je veux éviter à tout prix le syndrome du shit chat.

Illustrations: Pavé

J’en ai écumés des salons, reniflé des odeurs de laque, armée d’un langage corporel que je croyais à toute épreuve, se résumant à croiser fermement mais sans animosité les jambes et les mains dessous-dessus la cape en toile cirée, celle qui donne l’impression de n’être qu’une petite tête flottante.


Si je dois en extraire des statistiques, je dirais que cette tactique s’est révélée inefficace dans 80 % des cas. Et les fois où le shit chat a été conjuré, je crois que c’était même pas lié à la dite tactique…

À mon avis, les écoles de coiffure persistent à visualiser LA cliente lambda comme un être qui veut plus qu’un shampoing bourré de sulfates.

La cliente, elle veut vivre un véritable MOMENT de détente et de complicité, la parlote est la façon de la faire se sentir considérée dans un décorum doux et moelleux, un univers propice à la confidence rendue inaudible par l’usage du sèche-cheveux et les refrains radio tonitruants d’NRJ ou de Radio Contact (ça change selon les provinces, j’ai d’autres stats).


L’usage du féminin dans ce que je décris ci-dessus n’est pas un hasard. (drop the mic)


Du coup, vazy qu’on continue à former les apprenti.e.s à la conversation de salon. "Les prochaines vacances, c’est un sujet qui marche en toute saison" a certainement conseillé Madame Chantal Renard lors de son cours de relations publiques aux 6b coiffure-esthétique.


L’une des dernières fois où je me suis mise en quête du "juste les pointes merci", j’ai quand même vécu un shit chat bien ambivalent, où la surface de la profondeur était à la profondeur de la surface.


Je me suis coltiné la stagiaire.

C’est là que j’ai réalisé qu’il fallait qu’un même un peu d’expérience pour manier le shit chat du salon de coiffure, c’est pas aussi hasardeux qu’on le pense, y’a du savoir-faire.

Et tout le monde n’a pas la chance, à l’instar des 6b, de bénéficier des conseils empreints de diplomatie et de tact de Madame Chantal, je l’apprendrais à mes dépens.


Parce que moi aussi, je commence à avoir de la bouteille, je sais que la conversation commence après que la serviette ait été déroulée de la tête. C’est là que la coiffeuse se poste à ta hauteur, sort son peigne et ses ciseaux. C’est là que tout se joue. C’est à ce moment précis que je gaine au max mon body langage, dans une tentative désespérée de déjouer mes statistiques.


J’ai une liste de 2-3 réactions dans ma tête prêtes à l’emploi, que je peux balancer si on commence à me poser des questions sur moi et que je veux rediriger la conduite vers autre chose. "Vous avez du monde en ce moment?", "Vous travaillez beaucoup je suppose", "Roh oui j’ai encore tenté de me couper la frange moi-même mais c’est une catastrophe". Voilà, c’est tout ce que j’ai dans mon escarcelle. Faut jouer serré, pas griller ses cartouches en une fois.


Sauf que la stagiaire, elle m’a complètement décontenancée en me posant des questions VRAIMENT perso à une allure effrénée. À peine le temps de formuler une réponse qu’elle me dirigeait sur un autre topic, sans que je puisse avoir le temps de faire diversion.


Ça a commencé doucement, du genre "vous faites quoi dans la vie?", "vous habitez dans le coin?", "vous partez en vacances?" (évidemment), "vous êtes mariée?". J’aurais voulu m’enfuir, mais elle tenait entre ses ciseaux une grosse mèche de devant. Mes mains ligaturées commençaient à devenir moites, tant elles étaient serrées. Mais regarde un peu! Pétard! Tout mon corps exprime le fait que je ne veux pas dialoguer! Pensais-je.


J’étais déjà bien suintante sous la cape lorsqu’elle m’a achevée : "vous avez des enfants?". " Non". "Parce que vous n’en voulez pas ou…?"


Baaaam. Énorme migraine instantanée. Alors ça c’est vraiment pas fair-play jeune fille. Ok dans le cadre de fêtes de famille malaisantes, mais pas ici, pas avec Kendji Girac et sa belle andalouse dans l’oreille droite.


Attends, je viens jusqu’ici, j’aspire juste à éliminer les deux-trois veuch de frange qui me rentrent dans les yeux, tout ça pour me retrouver devant une nana de 17 ans qui, non contente de profiter de la vulnérabilité occasionnée par le fait d’avoir les cheveux mouillés ET plaqués en arrière (on en revient à ma chronique aqueuse à lire ici), me prend à revers sur un questionnement qui pollue une fois sur trois mon cycle ovarien, déstabilise ma capacité à raisonner et draine régulièrement en mon chef un sentiment d’infériorité (ou de supériorité).

Évidemment, j’ai tenté de rester sobre. J’ai juste répondu un minable "euuh je sais pas" avec la petite pointe d’agacement juste comme y faut dans la voix, celle qui indique à qui fait preuve d’un peu de discernement que le sujet est clos (et les autres aussi si possible).

Je me souviens plus bien de ce qui s’est passé après. Je crois que j’ai sorti mes mains de la cape… et que je me suis envolée.

Non, je déconne. J’ai attrapé un Paris Match de novembre 2018 avec Brigitte Macron en couverture (coïncidence? Je crois pas non) et je me suis plongée dedans, j’ai attendu que la stagiaire finisse de rater mon dégradé (ah oui, parce qu’elle ne s’est pas arrêté là, la bougre) et puis j’ai fait comme si ce shit chat n’était pas le plus merdique dans lequel je me suis faite alpaguer ces 3 dernières années.

[FIN DIGRESSION]


Et donc? J’en étais où? Ah oui!


Qu’est-ce qu’on écrit sur la situation qui nous occupe?


Franchement, ché pas.


En tout cas, on peut se dire qu’avoir des shit chat avec les gens, c’est souvent le signe qu’on a encore la possibilité de faire preuve de légèreté.


À la revoyure.

Et à la vôtre.

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